Qu’est-ce-que l’art-thérapie ? Cette pratique si difficile à définir, à la croisée de plusieurs champs, est de plus en plus reconnue. À l’occasion de la réouverture du centre des Petits Lutins de l’Art à Paris, Martine Colignon (membre du Comité d’Experts) a pris la plume pour faire un bref retour sur l’histoire de l’art-thérapie afin d’expliquer en quoi cette discipline est si unique.
L’art-thérapie a reçu en héritage la pensée philosophique, artistique, médicale et psychologique ; nous pourrions ajouter à l’heure actuelle psychopédagogique, sociologique et ethnologique.
Du divertissement à l’hôpital (ou diversion, telle que l’entendait le docteur Pinel) à l’expression soutenue et valorisée du patient en vue d’une réadaptation par le travail (ateliers d’ergothérapie), l’art-thérapie se développe et se détache de ces ateliers à partir des années 60. Elle entraîne une réflexion profonde sur le dispositif mis en place et l’impact de la médiation artistique sur les patients en termes d’apaisement et de mobilisation de ressources, le plus souvent inemployées. Cette nouvelle forme de thérapie participe pleinement d’un allègement de la souffrance. S’appuyant sur des concepts psychanalytiques notamment à partir des années 70, elle s’en différencie en raison de la place qu’occupe l’expression verbale qui y est contingente. Ce n’est donc ni une Psychanalyse appliquée, ni une thérapie à minima.
Quittant la Pathographie puis la Psychopathologie, toutes deux liées à la confirmation d’un diagnostic de la maladie mentale, l’art-thérapie interroge autant l’art que le soin. Cette dernière explore à la fois leurs points communs et leurs divergences. C’est un enrichissement mutuel. Ce qui en fait la spécificité est justement le passage de l’un à l’autre, de la création vers le soin et du soin vers une possibilité de se relier à l’imaginaire, sans que les deux soient clivés mais nécessairement complémentaires.
L’art-thérapie pose encore la valeur de la production artistique. Facilitant une prise sur l’imaginaire, elle redonne au sujet un élan vital qui s’est étiolé. Elle permet de nouveau de concevoir un espace dans lequel le sujet peut se décoller de sa douleur physique et psychique, tout en inventant ses propres chemins pour y parvenir. Elle travaille à une autorégulation des émotions, au gain en estime de soi et par conséquent au retour d’un sentiment d’efficacité personnelle. Au travers de la création sont de nouveau convoquées et valorisées des ressources et des compétences. Elle agit encore sur des comportements jugés inadaptés, en redonnant au sujet la possibilité de reprendre une place à part entière.
Il est donc question de faciliter des mises en forme imaginaires de soi au travers de formes artistiques, et cela au sein d’un parcours ou d’un cheminement. C’est cette dynamique qui impulse une possible transformation. Il s’agit également, sur un mode récréatif, de rejoindre une forme de recréation d’un réel devenu trop complexe ou trop anxiogène. La règle est alors de rejouer, au travers de l’exploration et de l’invention, certains conflits.
Les productions sont évolutives, ce qui souligne l’importance des processus à l’œuvre, tant créatifs que psychiques. C’est cette dynamique qui agit et qui entraîne des répercussions au niveau même de la dynamique mentale du sujet. Le rôle de l’art thérapeute est par conséquent d’accompagner et de soutenir les mouvements et le parcours symbolique (productions formelles) d’une réalisation à l’autre. Il est témoin et acteur, auprès de son patient, de ce qui se joue et qui est en potentialité, c’est à dire en tension.
Martine Colignon
Psychothérapeute et art-thérapeute au Centre d’Etude de l’Expression (Sainte-Anne, Paris)
Auteure De l’art-thérapie à la médiation artistique (2015, Erès).