Portrait d’art-thérapeute : Fanny Ingrassia
Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a amené vers l’art-thérapie ?
F. Ingrassia : Depuis mon enfance, j’ai toujours cultivé un goût et une certaine passion pour l’art et les pratiques artistiques en général – j’ai beaucoup pratiqué le dessin, l’écriture et surtout la musique. Ces pratiques m’ont accompagnées tout au long de ma vie, et, de mon ressenti, elles m’ont apporté un soutien significatif et constant lors de situations de vie parfois difficiles. C’est de cette expérience que je tire le postulat (et je dirais même plus la conviction) que la pratique artistique et l’expérience personnelle du processus de création peuvent constituer un outil psychothérapeutique à très fort potentiel. C’est pourquoi, après une formation initiale en musicologie, je me suis tournée vers la musicothérapie – j’y ai trouvé une pratique professionnelle alliant mon lien particulier à la musique et la création artistique à ma vocation profonde pour la relation d’aide.
De plus, chaque individu étant intrinsèquement différent, mon travail est aussi, en quelque sorte, un renouveau perpétuel : il témoigne de la richesse et de la complexité du psychisme et des interactions humaines, phénomènes qui me stimulent et me passionnent profondément.
Comment définiriez-vous cette discipline ?
F. Ingrassia : En tant que musicothérapeute, je vais répondre à cette question plus précisément par rapport à ma médiation. J’aime préciser que, pour moi, le terme de musicothérapie n’est pas le plus approprié pour définir cette pratique : théoriquement, il s’agit en fait de “psychothérapie à médiation sonore ”. En effet, le terme de musicothérapie peut suggérer que “c’est la musique qui soigne” – c’est une acception très courante de cette pratique, surtout pour des non-initiés. Or, ce n’est pas du tout le cas : dans les faits, c’est l’utilisation des sons et de la musique comme outils, à travers l’expérience d’un processus de création artistique, qui peut provoquer et/ou favoriser une transformation psychique. Cette pratique se fait dans un cadre défini et au sein d’une relation thérapeutique, le rôle du musicothérapeute étant d’accompagner chaque patient tout au long de son évolution et de son cheminement psychique.
Dans ce cadre, la musique et les sons sont utilisés comme intermédiaire, – un tiers extérieur, un médium qui, dans certains cas, peut se révéler plus accessible et pertinent que la communication verbale classique. Cela peut être assez évident dans le cas de certaines pathologies qui privent l’individu du langage verbal (autisme, handicap psychique lourd, maladie d’Alzheimer à des stades avancés, etc.), mais aussi dans des cas où le langage verbal n’est pas aisé ou mal investi relationnellement et psychiquement. Une prise en charge en art-thérapie se fait sous indication – une démarche nécessaire pour évaluer la pertinence de la demande, et pour orienter au mieux chaque cas vers la médiation la plus adaptée.
À quoi ressemble votre métier d’art-thérapeute ?
F. Ingrassia : Ma pratique est la fois très unifiée et fondamentalement protéiforme : mon approche clinique, mon cadre et mon éthique constituent la base immuable de mon travail – cependant, j’interviens auprès de publics très divers et au sein de cadres très distincts, ce qui nécessite des adaptations différentes. C’est au contact des publics et des équipes avec lesquels je travaille que je construis les dispositifs les plus adaptés aux circonstances – en fonction des pathologies (autisme, Alzheimer, troubles névrotiques), des âges et des cadres de prise en charge (en institutions ou en cabinet privé, en groupe ou en individuel). De plus, chaque individu étant intrinsèquement différent, mon travail est aussi, en quelque sorte, un renouveau perpétuel : il témoigne de la richesse et de la complexité du psychisme et des interactions humaines, phénomènes qui me stimulent et me passionnent profondément.
Quel regard portez-vous sur l‘art-thérapie dans notre contexte actuel, en France ?
F. Ingrassia : C’est une question difficile ! On pourrait imaginer qu’il y ait une pratique assez uniformisée de l’art-thérapie, mais ce n’est pas (encore ?) le cas. En effet, il existe une offre très variée en termes de formations et de pratiques, et il n’est pas toujours aisé de s’y retrouver – surtout pour le grand public. L’exercice de l’art-thérapie en France est encore assez mal règlementée, de même qu’il subsiste un certain flou entre les différentes approches que l’on peut trouver. En plus, on assiste ces temps-ci à un effet de “buzz” sur le domaine du bien-être et du développement personnel (comme en témoignent souvent les tables des grandes enseignes de librairies), il y a un effort marketing énorme sur ces thématiques et l’art-thérapie se trouve happée par ce phénomène. Vous pourrez voir partout un de ces nombreux livres proposant des coloriages et “vendant” cela comme étant de l’art-thérapie…
Certes, le coloriage peut sûrement avoir des vertus intéressantes, mais ce n’est pas de l’art-thérapie ! Je n’ai absolument rien contre les pratiques de développement personnel, que je trouve par ailleurs très intéressantes, mais il s’agit de bien définir les choses. C’est, à mon sens, le principal souci actuellement en France : la communication autour de toutes ces pratiques – il serait intéressant de pouvoir renseigner au mieux le grand public, au-delà de récupérations marketing et économiques. Quelque part, c’est aussi notre rôle, en tant qu’art-thérapeute, de promouvoir notre métier : je défends une approche clinique de l’art-thérapie – pour moi, il ne s’agit pas d’une médecine “douce” ou “alternative”, mais bien d’une pratique psychothérapeutique à part entière.
Cet entretien avec Fanny Ingrassia s’est déroulé en février 2019.